Graciela Trabajo
Psychologue clinicienne à Paris 20
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Qu'est-ce que c'est la notion de latence de la sexualité infantile ?

La notion de « période de latence » est ambiguë, Freud parle de cette période dans les Trois essais sur la théorie sexuelle[1]. L’idée de latence renvoie à ce qui est en attente, à une mise en sommeil de la sexualité, et malgré le fait qu’on en parle facilement, cette notion reste mystérieuse et très peu étudiée. Alors que ladite « période de latence sexuelle » représente un temps important de l’enfance, très peu de travaux ont été réalisés sur cette problématique.

 Pourquoi la curiosité d’étude n’a-t-elle toujours porté sur l’intérêt à l’enfance que d’un point adaptatif ou éducatif ? Freud attribue l’invention du concept à Fliess[2], ce dernier l’a peut-être utilisé mais pas de la même manière.

La correspondance, ce qui en est accessible, n’est pas éclairante pourtant non plus sur la question. Freud définit la « période de latence » comme une contradiction entre la sexualité infantile, libre et perverse, et les exigences de la civilisation qui la limitent pour permettre l’adaptation sociale. Ce qu’on peut remarquer, c’est l’intérêt de Freud pour la périodicité, peut-être lié à l’influence de l’amitié avec Fliess. Dans la lettre du 1er mars 1896, Freud écrit à Fliess : il lui fait part de la lecture de son manuscrit qui fait référence à la limite du refoulement et à la deuxième dentition : «  dans ma théorie des névroses, la limite du refoulement, c’est-à-dire l’époque à partir de laquelle les expériences vécues sexuelles n’ont plus un effet posthume mais actuel, coïncide avec la seconde dentition[3]. »

Cette définition de conflit pulsionnel chez Freud amène le sujet à un « impossible bonheur » plutôt qu’à une satisfaction accomplie, ce qui est loin de la position de Karl Abraham sur l’« idéal de la latence ». Ce dernier met l’accent sur une évolution harmonieuse de l’être humain, avec une résolution œdipienne qui conduirait à la réalisation génitale.

La différence fondamentale avec Freud est que ce dernier parle d’un « idéal d’éducation » à atteindre et pas d’un chemin libre d’obstacles du pulsionnel, notamment la lutte décrite par Freud contre l’onanisme. Dans l’ « idéal d’éducation » évoqué par Freud la sexualité perdure pendant ces trois périodes de l’enfance ; en revanche, « l’idéal » de latence laisse cachée la sexualité chez l’enfant.  « L’idéal » de latence, c’est « l’enfant idéal » du versant adaptatif, le bon écolier, l’enfant des apprentissages, de la pensée logique et de la socialisation. Cette image de l’enfant sage n’est-elle pas une des figures sous lesquelles nous retrouvons le refoulement ? Freud ne décrit pas une continuité du développement sans conflit, bien au contraire, il signale les interruptions de cette période de latence.

La notion de « période de latence » a une nécessité métapsychologique dans la clinique avec des enfants. Elle permet de rendre compte des remaniements pulsionnels au moment de la résolution œdipienne, du premier refoulement et des exigences civilisatrices de l’enfant ; et au moment de la poussée pubertaire vient à s’affirmer la sortie de cette période, du deuxième refoulement.

Nous savons aujourd’hui que la période de latence est très active pendant cette phase et que les transformations de l’appareil psychique sont particulièrement importantes à cette période, ces transformations se font jour « après coup » à l’adolescence ou chez le jeune adulte. Freud trouve regrettable qu’on ait contesté la pulsion sexuelle chez l’enfant et parle même « des germes de l’activité sexuelle », apportés précocement lors de l’ingestion de la nourriture au moment du suçotement du bébé, comme étant une des activités qui amènent le sujet enfant à une satisfaction sexuelle, et qu’il ne cesse d’autant plus de rechercher et de répéter.

Nous remarquons la note ajoutée en 1920, où Freud fait référence à « une floraison de la sexualité chez l’enfant de la deuxième à la cinquième année [4] » Cette période n’est pas du tout une suspension de la sexualité, bien au contraire, elle persiste et fournit une énergie qui pour une large part sera utilisée à des fins autres que sexuelles, c’est-à-dire en faveur de sentiments altruistes, sociaux et d’un autre côté, écrit Freud, à l’édification des barrières sexuelles ultérieures, dont le refoulement et la formation réactionnelle.

 Mais un enfant est unique et différent à un autre, nous devons considérer le temps psychique de chaque sujet enfant, non pas le temps chronologique des apprentissages. Mireille Cifali et Jeanne Moll[5] font référence à Alice Balint comme à quelqu’un qui rappelle que toute culture devrait faire face à des problèmes éducatifs particuliers sans attendre qu’un système pédagogique soit parfait, c’est-à-dire que si une pédagogie postule une prévention des névroses et des perversions, si elle vise à une substitution du psychanalyste  par l’éducateur, nous serions bien dans la prétention de former « l’homme psychiquement idéal » ; nous sommes alors dans une contradiction des termes, une ignorance totale des enseignants des découvertes psychanalytiques serait-elle donc convenable ? L’argument justifie-t-il l’ignorance sous prétexte que cette pédagogie n’existe pas ou est-elle une tâche impossible ?

Les pathologies de l’enfance sont en lien direct à cette période importante de la vie de tout sujet, de cela dépend un épanouissement du jeune enfant, du pré-adolescent ou du jeune adulte.  La vie de chaque « adulte » requière toujours un moment d’introjection, et une remémoration de l’enfance. Même si cela est parfois douloureux, marcher, se mettre de bout, s’étayer à un autre est fondamentale pour l’obtention de l’autonomie. C’est seulement de cette manière que le sujet enfant ressent la protection de l’autre. Le chemin inverse, c’est-à dire, si l’on le lui demande l’autonomie très tôt, cette demande l’insécurise. Ainsi, ne pas considérer la période de latence de la sexualité chez l’enfant serait de nier les mécanismes de l’inconscient  qui nous atteignons en tant que des êtres vivants. Cette négation est à l’origine d’un angélisme, d’une idéalisation de l’enfance.

Nous pourrions conclure sur l’idée d’Alice Balint que ce sont « les améliorations insignifiantes des méthodes d’éducation qui sont à l’origine du progrès de la culture, parce que tout système a ses défauts et appelle donc nécessairement des changements [6] ».

G. Trabajo

 


[1]. Freud Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Paris, PUF, 2010.

[2]. Ibid., p. 55.

[3] . Freud Sigmund, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 2006, p. 225.

[4]. Ibid., p. 112.

[5].   Cifali Mireille ; Moll Jeanne, Pédagogie et psychanalyse, Paris, Bordas, 1985.

[6]. Balint Alice, « Les fondements de notre système éducatif », 1937, cahier 2, Discussion lors du symposium sur « La révision de la pédagogique psychanalytique » à Budapest, p. 237-241 in Pédagogie et psychanalyse.

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